Thursday, July 20, 2006

POUR UN NOUVEAU CONTRAT SOCIAL

« … il n’a jamais existé de véritable démocratie, et il n’en existera jamais »
Jean-Jacques ROUSSEAU

Chaque génération, quand vient son heure, se trouve mise devant le fait accompli ; elle doit s’arranger tant bien que mal des institutions qui lui sont léguées par les générations précédentes ; qui ont pu satisfaire aux besoins de la société à un moment de son histoire ; mais qui vieillissent plus ou moins bien et qu’il convient de rafraîchir de temps en temps.
C’est d’ailleurs ce que recommande la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en disant qu’un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution ; ajoutant, pour que tout soit bien clair, qu’une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures.
Les meilleurs principes ne valent que par la manière dont ils sont mis en œuvre.
Entre les mots qu’on jette sur le papier, les plans qu’on forme dans sa tête et les outils qu’on a entre les mains pour les réaliser il y a parfois tout un monde.
A l’heure actuelle, nous n’utilisons certainement pas le dixième des moyens de communication qui pourraient nous servir à « moderniser » nos institutions.
En 1789, pour assurer la division administrative du territoire, c’est la distance qu’on pouvait couvrir à cheval en une journée qui servit de mesure aux départements.
Nous aurions à régler ce problème aujourd’hui, le raisonnement serait différent ; avec Internet, la vitesse de transmission des informations entre la préfecture, au centre, et les bords du département n’étant plus du tout du même ordre, le régime des relations entre le peuple et ses représentants devrait pouvoir se définir autrement ; par une modification des frontières, un changement de dimensions des structures administratives.
La démocratie est peut-être encore, un rêve hors de notre portée, une entreprise très au dessus de nos moyens ; mais qui nous empêche, avec ceux dont nous disposons, d’essayer de contourner l’impossible ?

Du pouvoir exécutif

Le pouvoir exécutif, comme son nom l’indique, a pour mission d’exécuter sur le terrain le travail qui lui est tracé sur le papier par le pouvoir législatif ; lequel doit, pour sa part, veiller à ce que les décisions qu’il prend soient respectées.
Le verbe « exécuter », au sens précis du terme, marque en effet une action qui vient à la suite d’une autre, dans son prolongement. Placer l’exécutif « en première ligne » est une faute de grammaire politique. Ce n’est pas lui qui peut décider seul des lois ; surtout s’il est représenté par un seul homme, avec, par-dessus le marché, la complicité de parlementaires élus en même temps que lui sur un même programme, qui ont contribué à son élection, qui n’ont rien à lui refuser, se trouvant ainsi mal placés pour équilibrer le pouvoir par un semblant de « contre pouvoir », comme ce devrait être leur rôle.
Pour la même raison, si, dans certains cas, l’exécutif peut être autorisé à « contrarier » le législatif, il devrait lui être interdit de congédier celui-ci par une dissolution, comme pour le punir d’avoir désobéi.
Le contrepoids entre l’exécutif et le législatif doit se trouver ailleurs, du côté du peuple, qui se trouve être, tout de même, le principal intéressé dans cette affaire.
Il convient donc, tout d’abord, de revoir le mode de fonctionnement de l’exécutif.
En raison de la diversité des problèmes de société que l’exécutif doit traiter, comme il est peu probable qu’un seul homme suffise à cette tâche, il vaut mieux que ce soit l’affaire d’un groupe, d’une équipe où chacun peut donner le meilleur de lui-même ; ce qui est bien le moins qu’on puisse attendre des serviteurs de la République.
Après que chaque membre de l’équipe ait trouvé sa place, il vaudrait mieux, ensuite, qu’il y reste ; plutôt que de papillonner d’un ministère à un autre, comme nous les voyons faire aujourd’hui ; un jour à la santé, la semaine suivante à l’industrie ou à l’agriculture, juste le temps qu’il faut pour étaler leur incompétence.
C’est pourquoi l’élection du Président de la République au suffrage universel au lieu de se réduire au choix d’un individu, devrait plutôt conduire à la désignation d’une équipe homogène sur la base d’un programme de gouvernement.

Dans aucune des quatre ou cinq Constitutions échafaudées, en France, durant les premiers temps de la République, il n’a été question un seul instant de désigner un Président. Le mot est apparu pour la première fois aux Etats-Unis après que Georges Washington ait refusé de recevoir le titre de Roi qu’on voulait lui donner. C’est par imitation que cette solution par défaut a fini par être adoptée en France en 1848 pour les besoins de la Deuxième République.
Mais rien ne permet de justifier qu’on puisse remplacer un trône par un fauteuil sauf à se résigner de perpétuer les habitudes et les usages de l’Ancien Régime.

A supposer que la formalité de l’élection présidentielle soit remplacée par l’élection d’un Conseil exécutif, de vingt-quatre membres par exemple, comme le stipulait la Constitution de 1793, s’il faut absolument, au moins pour satisfaire aux exigences du protocole, désigner un ambassadeur de l’exécutif, on pourra toujours, si l’on veut, lui donner le titre de Président ; mais seulement à titre honorifique, sans par ailleurs lui conférer d’autre pouvoir que celui d’arbitrer les différends qui pourraient opposer les membres du Conseil ; quitte à faire appel aux représentants du peuple pour régler la question ; ou au peuple lui-même en dernière instance.
Pour que la démocratie ait un sens, il convient de ne voir à tous les niveaux que des citoyens ordinaires ; donc d’en finir avec ces ambitions personnelles suspectes que le suffrage universel encourage lors d’une élection présidentielle en incitant quelques exhibitionnistes à se prendre pour des vedettes de cinéma ou des stars du show-bizz ; au point de vouloir à tout prix voir briller leur nom, « en beaucoup plus gros que n’importe qui », tout en haut de l’affiche ; quitte à faire appel pour l’imposer au public à tous les artifices que les agences de publicité savent si bien mettre en œuvre pour vendre des produits inutiles.
Dans le cadre actuel, on aurait tout à gagner d’exiger de chaque candidat qu’il se présente avec une équipe justifiant des compétences nécessaires. Comme il est peu probables que tous les candidats se trouvent en mesure de répondre à la demande, la liste des candidatures se trouverait ainsi réduite, dès l’entrée, à sa plus simple expression ; ce qui est, après tout, ce qu’on attend du second tour de l’élection.

Du pouvoir législatif

Qui fait la loi ? La Constitution de la République dit que c’est le peuple ; en la personne de ses représentants. En ce sens, rien n’est vraiment changé par rapport à l’Ancien Régime ; où les « intermédiaires », chargés de gouverner, tombaient du ciel, et se trouvaient élus « par la grâce de Dieu » au lieu de l’être, comme aujourd’hui, avec la bénédiction du peuple.
Mais que signifie le geste de glisser, de temps en temps, un bulletin de vote dans une enveloppe ? Est-il simplement consenti pour sauver les apparences ; peut-il être vraiment considéré comme la manifestation d’une volonté ? ou doit-on le prendre comme une aumône faite pour être en règle avec les principes, et permettant à tous de dormir la conscience tranquille ?
Avant que la démocratie n’en vienne à se définir comme une forme originale de gouvernement, le peuple s’est toujours contenté d’obéir, comme s’il trouvait naturel, ou, tout au moins, inévitable, d’être gouverné par « quelqu’un d’autre ». Il en a tellement pris l’habitude qu’il lui est difficile d’imaginer que, dorénavant, ce « quelqu’un d’autre », c’est lui-même ; et que ceux qui se trouvent aux commandes ne sont ni plus ni moins que des citoyens ordinaires.
Depuis 1946 la République Française affiche avoir pour principe : « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » ; suivant la formule énoncée par Abraham Lincoln le 19 novembre 1863 pour définir la démocratie. Ainsi se trouve résumé le contrat par lequel les citoyens, tous sans exception, s’engagent à participer aux activités du gouvernement.
Ce qui suppose évidemment qu’on leur en donne les moyens ; autrement dit qu’ils puissent avoir, au moins de temps en temps, leur mot à dire, après qu’on leur ait fourni sans mystère toutes les explications dont ils ont besoin pour comprendre de quoi il retourne.
Il convient de noter que si le mot peuple est répété trois fois, c’est pour souligner que, suivant ce principe, le peuple est constamment appelé à jouer des rôles différents ; au moins trois.
Disons, pour simplifier, que la première occurrence se rapporte à l’exécutif, la seconde au législatif et la troisième au peuple lui-même.
Limitée à la première occurrence, la formule « gouvernement du peuple » n’est pas une singularité de la République ; elle est commune à toutes les formes de régime ; partout le peuple a besoin de savoir où il va et qui le mène ; surtout s’il n’est pas libre d’aller où il veut. Le seul avantage qu’il trouve, en République, est d’y être dirigé suivant les lois qu’il a reçues en héritage, ou qu’il se donne, ou, plus exactement, qu’il accepte. Si, à cet effet, il confie à un « Gouvernement » le soin de faire le travail pour son compte ; autrement dit : d’assurer le service ; il ne faut surtout pas que le Gouvernement en question s’imagine être le patron de l’entreprise ; alors qu’il n’est rien d’autre qu’un exécutant soumis à l’obligation de rendre compte de ses activités à ceux qui l’emploient.
Dans la seconde occurrence, dont nous avons convenu qu’elle traite du législatif, l’expression « Gouvernement du peuple, par le peuple » ne veut pas dire « à la place du peuple » ; surtout si les représentants que le peuple désigne pour légiférer en son nom ne lui ressemblent pas.
En effet, le peuple doit ici compter avec ses « fournisseurs » entre lesquels il peut choisir ceux qui lui paraissent répondre, à peu près, à ses aspirations politiques ; auxquels, faute de mieux, il finit par confier le soin de discuter pour lui au sein de l’Assemblée Nationale, tout en sachant très bien qu’ils n’en feront qu’à leur tête.
Après s’être doté d’un appareil d’Etat complet composé d’un exécutif et d’un législatif, il lui reste encore à trouver le moyen d’en garder le contrôle, de ne pas « se laisser avoir » par ses « sous-traitants ». Comment peut-il rester maître de la situation ?
Or, dans la troisième occurrence, il est dit que le gouvernement est fait « pour le peuple ». C’est ici que la formule prend tout son sens ; pour le peuple et non au bénéfice de quelqu’un d’autre. Et, comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, il convient donc de chercher par quel moyen les citoyens pourraient se retrouver entre eux, au sein d’assemblées où ils auraient la possibilité de s’exprimer par eux-mêmes et non plus au travers de discours politiques préparés par avance à leur intention, et qui les dispenseraient d’avoir à chercher les mots pour dire ce qu’ils pensent.

Du pouvoir du peuple

Jean-Jacques Rousseau prétend que la démocratie est, par définition, une entreprise impossible ; qu’« il est contre l’ordre naturel que le grand nombre gouverne et que le petit soit gouverné ». La question se réduirait, selon lui, à un problème arithmétique dont la résolution dépendrait surtout de sa dimension, de l’ordre de grandeur des populations concernées.
Pourquoi faudrait il qu’une idée qui, à un détail près, s’est presque réalisée en Grèce, il y a vingt cinq siècles, sur un territoire de la taille du département de la Haute-Garonne, ne puisse s’appliquer à plus grande échelle, sur l’étendue de quatre-vingt-dix départements ?
Sans doute, le modèle grec est-il loin d’être parfait ; pour les libertés qu’il a prises avec la règle d’or de la démocratie en s’accordant d’y pratiquer quelques entorses afin que le système fonctionne ; à commencer par tenir pour quantité négligeable plus de la moitié de la population : les femmes, les esclaves et les métèques.
Plus tard on a joué le même jeu en limitant le droit de vote aux citoyens « actifs » de sexe masculin, justifiant d’un certain niveau de revenus. Dire que ce n’est pas la rue qui gouverne est une idée « démocratique » vieille comme le monde.
N’importe qui peut, aujourd’hui, sans examen, se faire délivrer une carte d’électeur. Plus facilement qu’un permis de conduire. Il est donc permis de voter sans savoir ce qu’on fait.
A moins de s’abstenir ; ce qui pour certains, faute d’explications suffisantes, devient de plus en plus la seule attitude possible ; on a compté 15% d’abstentions au premier tour de l’élection présidentielle en 1965 ; plus de 28% en 2002.
Or, il est bien dit, à l’article 3 de la Constitution que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum » ; par conséquent, puisqu’il doit se conduire lui-même, le peuple est donc supposé savoir où il veut aller.
S’il doit s’exprimer par référendum, pourvu que la question soit clairement posée, il lui est assez facile de répondre.
Quand à choisir ses représentants, c’est une autre affaire.
Deux modes de scrutin sont alors à sa disposition : d’une part la représentation proportionnelle, censée fournir l’image exacte de l’opinion ; d’autre part : le scrutin majoritaire qui, certes, en donne une traduction déformée ; mais avec l’avantage d’être plus simple, plus facile à gérer, en réduisant l’éventail des nuances à deux ou trois teintes moyennes.
Etant donné le nombre de partis – au moins une quarantaine – inscrits dans l’annuaire, il paraît difficile, en effet, de les voir tous représentés à l’Assemblée nationale à raison du nombre de leurs adhérents.
Toutefois, ces deux modes de scrutin peuvent être complémentaires ; à condition de s’exercer dans des espaces différents ; d’un côté l’Assemblée nationale, telle qu’on la connaît, où s’exprimeraient les choix politiques dans leurs grandes lignes ; et d’un autre côté ce qui pourrait porter le nom de « Chambre des Communes », en lieu et place du Sénat, dont les représentants ne viendraient pas du monde politique mais directement de la société civile.
Ainsi, reprenant mot à mot ce que préconisait Pierre Mendès France dans « la République Moderne », en 1962, le peuple se verrait « représenté deux fois et sous deux formes différentes. Sous l’angle de ses aspirations politiques, d’abord, à travers le suffrage universel qui désigne l’Assemblée nationale. Sous l’angle, d’autre part, de son rôle économique et professionnel, de sa classe, au sein d’une assemblée qui confronte tous les producteurs et consommateurs constituant la collectivité ».
C’était un peu le sens de la réforme proposée par référendum le 27 avril 1969, mais rejetée à 52%, provoquant le départ du Général de Gaulle.

En quoi la « Chambre des Communes » en question serait-elle différente du Sénat, tel qu’il est formé aujourd’hui ? Et surtout, comment pourrait-elle être complémentaire de l’Assemblée Nationale ?
A l’Assemblée, contrairement aux apparences, les députés sont davantage les représentants des formations politiques dont ils sont issus que les représentants des électeurs qui les ont désignés ; en effet, les programmes ou les idées générales qu’ils défendent ne viennent pas du peuple, mais des directives établies par les Etats-majors de leurs partis respectifs ; ils n’expriment, en gros, que des tendances. Ce qui n’est déjà pas si mal ; à condition que mis en face de difficultés imprévues, s’ils se trouvent obligés de faire le contraire de ce qu’ils avaient annoncé, ils en informent au moins leurs électeurs, en expliquant pourquoi.
La rigidité de nos institutions tient aux distances qui, jusqu’à présent, séparaient les membres de la société. Le pessimisme affiché par Jean-Jacques Rousseau quand à l’impossibilité de mettre en place un véritable système démocratique pouvait, à la rigueur, se comprendre à une époque où les informations mettaient des jours et des jours avant de parvenir à leurs destinataires ; où la seule ressource dont disposait le peuple pour s’exprimer, consistait à donner carte blanche à ses représentants, en leur laissant le soin de parler à sa place ; de sorte qu’il n’avait ainsi plus rien à dire.
Peut-être est-il maintenant possible de tourner la difficulté en tirant parti de tous les moyens de communication dont nous disposons ; qui précisément nous permettent d’abolir instantanément les distances.
La « Chambre des Communes », comme son nom l’indique, serait alors issue d’Assemblées communales où tous ceux qui le désirent seraient invités à se rencontrer de temps en temps pour discuter des lois se trouvant à l’ordre du jour ; ce qui, localement, leur serait d’autant plus facile qu’à ce niveau, ils ont déjà l’habitude de participer à toutes sortes d’activités sociales ou culturelles ; et qu’ils sont déjà plus ou moins engagés dans des syndicats, des groupes de consommateurs, et des associations de locataires ou de parents d’élèves.
A partir de ces Assemblées communales, basées sur des participations bénévoles, se formeraient progressivement, tout comme dans la Constitution de l’an VIII, par le jeu d’une sorte de construction gigogne, des Assemblées départementales, puis des Assemblées régionales, à raison d’une Assemblée par région, lesquelles pour finir, au niveau national, désigneraient chaque année leurs représentants à la « Chambre des Communes ».
Pour bien marquer leur caractère apolitique, ces Assemblées auraient le statut d’Associations 1901. Il leur serait simplement demandé de respecter un certain équilibre entre les groupes socio-économiques qui s’y trouveraient représentés ; à l’image de ce qui était prévu dans le projet de réforme du Sénat en 1969 soit, par exemple :
25% pour les salariés du secteur public ou privé représentant les syndicats
25% pour les Entreprises industrielles, commerciales et artisanales
10% pour l’Agriculture
20% pour les Associations familiales ou à vocation sociale
20% pour l’Education, la Recherche et les activités culturelles
Les Assemblées civiles pourraient se réunir tous les trois mois ; et le reste du temps, communiquer par le biais d’un réseau Internet en liaison avec l’Assemblée politique qui les tiendrait régulièrement au courant de l’avancement des projets de lois.